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Exercices de stèles


  • PREMIER

Il n'y avait plus que cette lumière intense que j'apercevais par la porte. Une porte haute se détachant sous la cuite des cieux, avec en arrière fond, des fontaines, le frôlement des oiseaux passant au-dessus des cyprès, le heurt d'un arrosoir lâché au sol par une tombale éplorée.

J'entendais crisser le gravier entourant la statue du soldat mort, commençant de se lézarder, une vie à part m'entourait, et j'avoue que je n'avais plus la moindre crainte de ce nouveau monde. Celui en lequel j'entrai subrepticement, et l'autre que je délaissais sans regret aucun.

L'index atrabilaire du Temple s'élevait vers le ciel, les alcôves Butane des vitraux émergeaient au-dessus des arbustes, détrempés de cieux nouveaux et vivifiants.

Tous ces monuments m'apaisaient, ces statues de saintes aux mains blanches et fléchies sur le miroitement des jets, transparaissant sous le grand saule, celui en lequel je me réfugiais souvent.

La clarté fourmillait entre les branches et j'étais béni par par la brise chahutant le feuillage.

J'étais entré par la grande allée, veillé par des chapiteaux de style Dorique ou Empire, dressés au garde à vous. Je sinuais à l'envi entre les tombes, revenais à d'autres, tentait de sentir les murmures et secrets de tous ces restes tombés en disgrâces.

Tous ces faciès de belles comtesses, de danseuses arrêtées en leurs élans, toutes ces roses resplendissant au-dessus des charniers, me donnaient à penser qu'elles étaient telles ces femmes de jadis qui en prenant soins de leur teint et de leur élégance, s'en allaient vers cette funèbre destinée. Il eût fallu qu'elle parlassent, me racontassent leurs apartés, je me pris de convoiter tous ces secrets enfouis, ces destinées poussiéreuses, afin de les graver encore et encore, sur je ne sais quelles nouvelles stèles ou monuments aux morts, ou de les pétrir afin de former une entité quelconque qui pu me révéler le revers du rideau.

J'ai toujours été fasciné par les cimetières et cette paix profonde qu'ils représentaient, par rapport aux gaz exécrables des ferments humains engloutissant des milliards d'êtres vivants entre leurs intestins putrides. Je me mis à songer que ce cimetière était parmi le moins mortel et douloureux des chagrins, et que ces chairs mortes depuis plusieurs générations, recycleraient peut-être la terre en nouvelles grâces. Alors que bien au contraire, le fumier humain entassé dans les panses, ne servaient qu'à corrompre des agonies ingérées et leurrer le monde devant des faciès tous plus charmeurs les uns des autres. Des anges de lumière et des Jézabel. Car ils n'avaient le pouvoir d'ensorceler que grâce aux distillations des fientes et autres mictions similaires entre lesquelles ils jouèrent leurs rôles.

Exit, la clarté du jour sur les épidermes, ni la peau tiède des belles fuselant l'avant-bras, pour y recevoir le baiser de l'amant. En ces temps où le vulgaire l'emportait sur l'harmonie, on voyait de plus en plus d'inflorescences aux cimetières et d’engeances racailleuses maculant les rues.

Nous nous trouvions donc au devant du pétrin même de ce qui devait survivre pour exister et périr par l'estomac.

Toujours la bouche et la couche, l'estomac et la besace, le scrotum et le canon.

Ils dormaient là-dessous des fientes liquides qui avaient digéré des années d'existences et je me demandais où se trouvaient tous ces autres charniers, où donc avaient entassé ces digestions criminelles, leurs ultimes lambeaux coincés entre les canines ?

Il y avait la surface idyllique des fleurs et des arbres bruissant d'oiseaux, tout un paradis de végétation luxuriante et trilles chahuteuses, puis au-dessous, cet enfer sombre de tourbe et gaz corrompus, ces rictus désormais affamés, ces sourires disloqués ou noyés entre la vase.

Ils avaient quitté les bals et leurs beaux habits d'apparats, pour cloués entre le bois et l'obscurité totale, égoutter os et téguments entre la glaise.

Rien n'avait plus cours, rien n'a jamais eu cours, et les grands pouvoirs n'ont qu'une seule certitude, celle d'achever l'ambition en intimité avec leurs propres putréfactions. De leurs vivants ils ont beau se parfumer, se pomponner, s'enjoliver, ils n'attirent que les vautours.

Mais me direz vous, il reste le souffle, l'âme, l'esprit, tout ceci n'est que dépouille.

Croyez-vous donc naïvement que le souffle ne puisse se corrompre lorsqu'il est enfanté d'un récipient putride ? Que l'âme ne soit pas entachée par les ténèbres mentales ?

Ces réflexions me revenaient sans cesse, alors que je ne cessais de questionner à propos, la petite pleureuse blanche dont la tête enfouie entre les bras et les cheveux épars, me laissait toujours abandonné à mon sort.

Je m'en allais donc vers le grand Christ du cimetière, celui par lequel tout ce qui planait dans le ciel ou voletait dans les fourrés, semblait jaillir telle l'aube, derrière son visage.

" Je suis la vérité et la Vie. "

Lui, Il n'avait pas été sujet à la putréfaction.

Ces noms sur les stèles, autant de destinées dressées, puis retombées au néant.

Pourraient-elles se relever et dire, me parler, sortir de leur état argileux, agiter les mâchoires à nouveau ? Ce sont-elles connues, ont-elles échangés entre elles ?

Ils avaient annoncé un gros orages pour le lendemain. J'attendrais donc ce moment propice pour retourner vers le Christ Blanc. En soirée, la lune serait voilée, mais l'été longuement à cette époque, nimbe son chenal de clarté par delà l'horizon.

Ce ne serait pas en amoncelant ces monceaux de cadavres décomposés les uns sur les autres, en tentant de leur redonner vie, qu'on arriverait à retourner vers l'existence de tous ces morts. Mais en cherchant parmi le souffle même de toutes celles d'entre elles labourées aux origines, par le principe même de sublimation.

" Une petite jardinière t'aidera. "

C'est la dernière phrase que j'entendis en m'assoupissant mort de fatigue et d'émotions contenues, contre le socle et le pied gauche de la statue du Christ Blanc.

Une fois de plus il veillait seul dans Ghetsemane.

( à suivre... )




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