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EXERCICES DE STÈLES


EXERCICES DE STÈLES Extrait Sydney Chaplin,( Syd Chaplin ), Senta von Knorring, Comtesse Potocka.

- Oh mon Dieu reprit Senta von Knorring ! Qu’est-ce qui pourrait être pire comme tyrannie, que le joug de la barre classique académique ? - Eh bien, si vous voulez mon avis, reprit la Comtesse Potocka, ce sont les affres de la chair vous poussant irrésistiblement à commettre le pire ! La lascivité dont fit part un membre de ma famille, Comtesse elle aussi, fit les beaux jours de la Belle-Époque, mais la ruine morale de son entourage. Imaginez seulement ; elle avait fondé un club littéraire dans son palais de la rue de Friedland, qui s’appelait « Le Macchabée » et tous les mardis s’y pressaient musiciens et artistes en tous genres. Mais pour adhérer à ce club, il fallait une condition et non la moindre : que l’on mourût d’amour pour elle ! Rien que ça. « Pleine de contrastes, de richesses et de beauté », disait Proust à son propos. - Je connais cela reprit Syd Chaplin. Avec la jeune femme de mon frère. Souple et langoureuse, forte comme le cobra redressé et mordant avec le sourire en avant. - Elle usa de sa fortune en se permettant toutes les licences, Cher Ami ! - Nous devenons toutes femmes de monarques, lorsque nous arrivons en revers de carrière, reprit Senta von Knorring. Mais ce n’est de loin pas un comte de fée. Il y a un prix à payer pour cela, comme je vous l’ai dit. - Maupassant en fût épris, reprit la Comtesse sans relever, Proust également, et lorsqu’elle eût fini d’accueillir ses célèbres convives, semblant égarée entre des colonnades de mosaïque multicolores se répliquant en enfilade, tout ce beau monde gloussait à l’envi, garni de voilettes et éventails en tous genres, arborant des poses convenues sous les feux de vitraux disposés à cet effet. Ces derniers représentaient des Cupidons boudinés, dénudés jusqu’à l’extrême et des danseuses égyptiennes roulant entre les bras de pharaons lubriques. Parmi l’odeur suave des savonnettes et lavabos hauts sur pattes, où tout le monde pouvait se rafraîchir à loisir, on servait des plateaux de thé à la rose, avec, délicatesse suprême, quelques feuilles de haschich roulées et enrobées de miel. Il n’y avait là, ni la grossièreté ni la vulgarité du « One Two-Two », si ce n’était une certaine décadence non feinte. - Oui, d’accord pour tous ces frasques, mais vous, reprit Syd Chaplin, que venez-vous faire là-dedans ? - J’essayais de briller autant, mais le miroir que me tendait ma parente, ne répliquait hélas pas ses orbes sur ma personne. Elle avait un magnétisme exacerbé, pas un homme qui ne passât devant ses yeux et qui ne fût instantanément brûlé. - Le mythe de la sirène, reprit Senta von Knorring. - La réalité d’une naufrageuse, fit la Comtesse devenue soudainement grave. Ou le mât ne fût pas assez solides ni les liens assez puissants, ou la cire fût trop molle ; toujours est-il que tous ces Ulysse de passage ne retrouvèrent jamais Ithaque. - Eh, bien ne restons pas sur ces frasques pathétiques, reprit vivement Syd Chaplin ! Vous avez la grâce et la distinction du cygne, Comtesse Potocka. Que vous faudrait-il de plus je vous le demande ? - Que pendant ma mort l’on pria beaucoup pour moi. - Nous regrettons toujours nos anciens lauriers, reprit Senta von Knorring, ou ceux déposés aux pieds d’autres empires. La prière ne peut en aucun cas rattraper nos erreurs. - Votre parente doit en savoir quelque chose avec Bonaparte, reprit Monsieur Chaplin. - L’aigle ne lui a pas fait un nid bien solide, mais une aire friable, répondit la Comtesse quelque peu courroucée des propos du Gentleman. Joséphine prenait toute la place et son teint halé, disait-on, enivrait le Monarque au plus haut point. Peu s’en faut ! Il en a été autant passionné qu’une fillette à de l’engouement pour une poupée de chiffon, et la délaisse quelques heures après. L’exotisme finit toujours en exorcisme. Il faut croire que le démon de l’amour est celui qui se laisse le mieux chasser. Cependant… grâce à Louis Constant Wairy, son valet intime, on en sait un peu plus du personnage que ma parente enluminait d’or et de frasques la rehaussant elle-même d’un certain panache, ce qui la rendit peu crédible aux yeux du beau monde dont elle s'entichait. Il est plus facile de planer avec l’aigle en plein ciel, que de rester rivé aux gants du fauconnier… Même enfermée dans son prestigieux salon de Friedland. Un nom prédestiné, vous en conviendrez. - Certes, reprit Syd Chaplin enjoué ; ou de butiner avec les abeilles sans toucher à la gelée royale ! - Royale certainement pas, reprit la comtesse effarouchée ! - Si ce n’est ajouté au menu de la Restauration, Madame, sauf votre respect. La Comtesse se trouvant prise de court, entama un long silence. J’aurais presque tendance à dire : « Heureusement. » ...( à suivre... )


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