Exercices de stèles Extrait du chapitre -13- Hubert Giraud
- jemesouviensdetout

- 14 févr. 2021
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Hubert Giraud foisonnait d’humour, derrière sa petite moustache allègre. Puis il y avait Henri Salvador avec une « Mi-août dégingandée. » Quel pitre celui-là, quand il était sur les planches ! Un cabotin de dernière, oui ! Pour être sous les feux, il tirait un max la couverture à lui, mais pas pour étouffer les flammes, je vous le garantis, juste pour attiser les siennes ! Entre deux, c’était écrit occupé. Il ne fallait pas déranger. Un cochon de caractère, parbleu ! Je l’ai retrouvé un jour à Chailly-sur-Clarens, dans un tournoi de pétanque. En dehors de tout, ça allait encore, tant qu’il était concentré sur le cochonnet… Oui, vous avez compris, il ne crachait pas sur les bons morceaux. Idem avec Pauline Carton. Elle rêvait d’être tragédienne et de jouer Corneille. Mais ils la cantonnaient toujours dans des rôles de boniches ou de concierges et ça la rendait plutôt furax, au début, puis vraiment maussade, par la suite. Et ne me parlez pas de Jean Lefèbvre, là, c’était de la rancœur à n’en plus finir. Vous savez, on devrait se contenter d’être célèbre, sans rien envisager d’autre, car ce sont des coups de pot qui remplissent la gamelle. La gloire, c’est juste la fille des belles promesses. Elle est précoce mais atteint rarement l’âge adulte. On devrait jamais chialer devant l’assiette remplie à raz bords. Le talent, vous savez, il est parfois inversement proportionnel à la célébrité. Faut pas s’y fier, y a pas d’explications logiques le concernant. Combien sont dans l’ombre, bien meilleurs, plus hargneux encore, et qui espèrent sans jamais se plaindre ? Je suis content de ce que la vie m’a offert, je n’en cherche pas plus, je me considère déjà comme un nanti ! Oui. Merci la vie, chapeau-bas, l’existence.
Comme pour mieux souligner l’optimisme rieur du moustachu espiègle, un trille d’oiseaux vint agrémenter ses bonnes paroles.
- Vous savez ce qui me fascine en vous ? C’est ce que vous avez composé avec Jean Dréjac.
- Ah oui, je vois où vous voulez en venir… À l’incontournable, « Sous le ciel de Paris ? »
- Oui, Exactement ! Et ce moment génial, apparemment tout simple, ce fameux : « Mmmh, mmmh, mmh » dans les strophes… Ça, c’était vraiment un coup de génie, il fallait juste y penser !
- Vous avez tout compris.
- Oui mais comment cela s’est-il passé ? Racontez moi.
- Eh bien voilà... Il restait un bout de musique sans parole et je ne savais pas trop quoi rajouter, c’était à la fois trop court pour y remettre des mots, et trop long qu’avec un accompagnement alors... Alors on a « meublé » avec ces « Mmmh »…
- Meublé ! Un sacre de futés, oui ! Vous êtes un mélodiste né, comment cela vous venait-t-il-en tête ?
- Grâce à Julien Duvivier, avec son atmosphère particulière en laquelle j’entrais facilement et ses images qui non seulement m’enchantaient, mais « chantaient » en moi, à peine voyais-je le texte sous mes yeux. Je les imaginais de suite, défiler à un rythme qui me plaisait grandement et auquel je me laissais de suite embarquer. Je ne saurais vraiment dire comment cela se passait, tout ça ne s’explique pas trop voyez-vous, mais… Mais ça tombe dans la tête, ça vient comme ça, c’est comme si c’était en train de rentrer par le sommet du crâne puis de jouer directement dans les tripes et la région du cœur. Je ne peux pas vous en dire plus. Il y a des gens qui cherchent toute une vie à composer des tubes. D’autres en font sans arrêt et ils ne savent pas pourquoi. Comme Michel Delpech et Joe Dassin, par exemple. Et Brel… Brel a écrit « Quand on a que l’amour » sur un coin de table à la va-vite. Parce qu’il avait besoin d’argent pour payer son mois de loyer. Un soir, il a dit à son ami avec qui il partageait le bail, qu’il devait écrire en urgence une chanson à succès, afin qu’ils ne soient pas tous deux chasser illico dans la rue… On connaît la suite ; grand Prix Charles Cros. Je tiens cette histoire de son ami lui-même. Et Claude Nicolas, le contrebassiste de Brassens, pourrait vous en raconter des vertes et des pas mûres à ce sujet !
- Ça resterait dans les tons verts, Monsieur Giraud ! C’est ce qu’on appelle le talent et l’éternelle jeunesse !
- Oui… Et pour rebondir avec Brassens, il disait que : « le talent sans le travail n’était qu’une sale manie. » Et je peux vous dire qu’il y avait beaucoup de maniaques sans travail ! On bossait dur vous savez, surtout concernant les arrangements. Ce sont les arrangements qui font les trois-quarts d’une chanson. Un accord de piano ou guitare. L’introduction de « Capri c’est fini », de Hervé Vilard, ces deux accords de guitare électrique, font que toute la chanson tient dessus, comme de la chair sur un squelette. Les exemples sont nombreux ; tiens, encore un autre : Pierre Dudan, avec son « Clopin-Clopant »., « le café au lait au lit », il était bien de chez vous lui, montreusien de surcroit, avec sa mère cantatrice que toute la Grand’rue entendait brailler quand elle tirait ses vocalises !
- Oui, c’est vrai ça ! Cependant, je savais pas qu’il avait une mère qui donnait dans le Bel Canto. Mais certains poursuivis-je sans vouloir perdre le fil, changeaient l’original de vos mélodies, pour le remodeler à leur sauce, non ? Les Compagnons de la chanson, par exemple, reprennent « Sous le ciel de Paris » on pourrait dire, à la mode de chez eux ? Et Trenet, combien de fois n'a-t-il pas été violé !
- Oui… Euh... Il ne s'en plaignait pas trop ! Après, que voulez-vous… On n’est plus trop maître de l’original. Le plus important étant de ne toucher ni à la mélodie ni aux paroles.
- Sur la même veine, on pense aussi forcément à Jean-Loup Dabadie et Pierre Delanoë.
- Et Serge Gainsbourg, hein ? Chaque album de ce Monsieur avait sa couleur, son style, son décor, sa « nouvelle. » Gainsbourg créait un hôtel particulier, à chaque fois qu'il sortait un trentre-trois tours. Une fois Lolita avec « Melody Nelson » et « l’homme à la tête de chou », une autre fois racaille avec « Under Arrest. » La chanson est un petit film qui doit tout dire en trois minutes maximum. Un court-métrage aussi tassé qu’un espresso. Là est le but. Brel avait tout compris et Barbara aussi. Brel avait Marcel Azzola comme arrangeur, ainsi que Christian Rauber. Barbara, Wylliam Scheller et Roland Romanelli. Je vous dis, la chanson est un court-métrage. Une mécanique de précision. Un seul faux pas, un seul grain de poussière et tout s’enraye.
- Oui… Mais quand on voit maintenant…
Je dû offrir une telle moue de déconvenue, que Giraud répondit du tac-au-tac.
- Maintenant on s’en fout. C’est racailles et compagnies, sous-classe, complétement déglingué, ça c’est plus écrire correctement ni s'exprimer et encore moins chanter. Michel Legrand était sans pitié avec ces gâte métiers, ils disaient juste « qu’ils n’étaient bon qu’à produire du bruit », conviction que je partage pleinement avec lui. Cependant, malgré tout, nous ne devons jamais perdre la confiance du public. Il n’est pas stupide du tout. Regardez par exemple, le nombre de personnes qui vont encore écouter ou regarder de la vieille chanson française. C’est faramineux. Ça veut tout dire. Surtout, avec la technologie actuelle, on peut tout trouver en un seul clic. Rien ne s’est perdu et rien ne se perdra, car le symbole de Paris demeure pour beaucoup celui de la joie, de la légèreté et de la liberté. Il ne faut jamais perdre espoir. Ce qui se fait de nos jours, ce n’est que de la barbe à papa. C’est joli et appétissant à regarder, ça sent bon, mais il ne reste jamais rien en bouche.



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