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Exercices de stèles Extraits


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En y réfléchissant bien et me retournant le plus possible vers mes pensées précédentes, voire mes anciennes actions, il m’était impossible de me rappeler exactement l’instant précis où j’étais entré dans ce cimetière. Jusque-là, cette question ne m’avait même pas effleuré l’esprit, alors qu’en cette seconde, je me sentis très mal à l’aise au-devant de ce mystère ; comment étais-je parvenu dans ces allées et surtout, pourquoi et par quels effets du hasard ou de la destinée, il me fut donné de côtoyer toutes ces célébrités afin de les entendre échanger entre elles, ou d’être harcelées par mes requêtes ? De quel droit me suis-je permis cela, qui m’a jeté aux pieds de toutes ces stèles, m’octroyant le privilège de déranger ces gloires fanées, de redonner vies à ces trépassés qui avaient l’air pourtant de reposer en toute quiétude ? Sur quelle initiative ? Qui donc est cette guide étrange, semblant tantôt sombre et austère, tantôt si lugubre au point d’effrayer le moindre quidam passant devant elle, pour la seconde d’après, changer d’apparence jusqu’à rendre le lys semblable à un morceau de charbon, face à sa nivéenne stature ?


Ce cou magnifique, dont on voyait les cordages s’harmoniser et louer son être d’une symphonie parfaite, se ramifiant à la base d’épaules délicates et onduleuses à souhaits, ses yeux récoltant le surplus des cieux et ce front doucement tamisé de mèches s’égayant aussi sur les tempes, servant de moïse au visage ; d’où venait donc tant de pureté et de grâces, lovées sur ses lèvres tels un baiser indissoluble ?


Elle jouait de ses bras, comme l’engoulevent déploie ses ailes, si ce n’était sans cesse que l’on assistait à un envol de colombes, lorsque ses mains s’animaient depuis le col acéré et luminescent du poignet.


Qui donc était-elle, cette « femme » ciselée à la plume de cygne, m’entendais-je clamer en moi ?



Temple de Clarens.
Les anges du peintre François de Ribaupierre

Alors que j’avançai dans l’allée centrale du Temple et que j’étais à quelques pouces de la grande bible ouverte, je vis les anges de Monsieur de Ribaupierre s’animer un à un, j’entendis le vacarme assourdissant des trompettes et vis des tonnerres d’azur s’abattre sur le sol, frapper la chaire et incendier les vitraux, depuis l’endroit où se trouvait le faciès Séraphique du visage qui inspira le peintre et qui ne fut autre que celui de… Ma guide ! Je voyais cela distinctement et si puissamment, qu’une autre force plus dominante encore, me refoula sans ménagement, sans que je ne puisse résister, jusqu’à recroiser sous le porche alors que la porte se refermait sans bruit, la mine patibulaire et maladive de Monsieur Lecoultre. Je n’oublierai jamais son regard qui se planta en moi à ce moment-là ; un regard si triste et si compassionnel, semblant soutirer le chagrin de l’humanité entière, sans pouvoir la soulager, mais l’accompagner afin qu’il se sentit moins égaré et solitaire.



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Ma guide avait suivi le mouvement fleuve, roulant loin de ces béatitudes, sentant aussi que quelque chose ne désirait nullement que je les eusse goûté jusqu’au bout.


- Il n’est visiblement pas encore temps pour vous de demeurer ici, fit-elle à mi-voix. Vous n’avez de loin pas achevé vos missions dans le bas-monde. Qu’avez-vous réalisé, concrètement, pour les autres ?


- Eh bien…


- « Ne vous lassez pas de faire le bien. »


- Pourquoi donc me citez-vous ces paroles bibliques ?


- Ce sont avant tout des paroles de bon sens. Écoutez... Ne vous sentez pas obligé de demeurer englué dans votre conformisme éducatif, vous devez au contraire bannir toute fatalité liée à la descendance et l’héritage, pour devenir un être à part entière, autonome et pensant par lui-même. Délestez-vous de l’atavisme des aïeux ! Enlevez-moi ces chaînes ! Et c’est sans compter tout ce fardeau matériel qui vous suit et leste votre existence. Ne vous sentez-vous pas mieux en ce moment ? Plus léger ?


- Voyez-vous, Chère… « Demoiselle », avec tout ce qui m’est arrivé depuis que je suis entré ici, et ce, toujours sans avoir ni la moindre idée de comment cela se passa ni de celle plus fugace encore qui me fit obliquer en ce lieu, je n’ai pas eu trop le temps de songer un tant soit peu au confort de mon existence.


- Ah ?… C’est bien dommage.


Clarens, entrée du cimetière EST.
Cimetière de Clarens, repérages pour " Exercices de stèles " et début rédactionnel sur le lieu même.

 
 
 

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