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LA TRAHISON DE MERCURE Extrait du chapitre trente-six



- TRENTE-SIX -

Toutes lumières éteintes, ils pénétrèrent dans le long couloir de l’appartement. Juchée, un peu plus haut, l’unique fenêtre de la cuisine laissait à peine filtrer quelques déchets lumineux, provenant du Passage des postes.

- Entrez dans le salon, mais n’allumez sous aucun prétexte !

Le salon. Une véranda phosphorescente, face aux rideaux tirés du voisin,

des luminaires et autres réverbères inondant la pièce de mercure d’iode.

C’est une fois installé sous ce teint verdâtre de hangar désaffecté, que Nadal

put à loisir, contemplé la face de ses agresseurs.

Ce fut comme un éclair, une volonté fulgurante bondissant directement des

nerfs limés à vif depuis des mois. Le policier rabroué bondit sur les deux

lascars en même temps. La détente fut si soudaine, si fulgurante, qu’ils

s’écrasèrent lourdement au sol en lâchant des plaintes lancinantes. Nadal ne

les laissa pas se remettre de leur surprise, alors que les deux flingues

giclèrent à l’autre bout de la pièce, dont un, précisément, jusqu’au milieu du

corridor.

Des coups de pied copieusement assénés dans l’estomac, les mirent hors

d’état de nuire, du moins pour un moment. L’un d’entre eux, celui qui

semblait le plus chétif, tenta vaguement d’articuler un son.

- Plus fort salopard ! J’entends rien ! Ah, tu fais moins le malin, maintenant

! Suivant du côté où se trouve le canon du pétard, on asticote pas le même

langage ! Et toi l’autre, je te conseille de te tenir pénard, si tu ne veux pas

que je t’envoie ramper dans la contrée de tes putains d’aïeux !

« L’autre » tenta effectivement de ramasser le sept soixante-cinq, gisant sur

le carrelage du vestibule. Mais Nadal, plus cinglant qu’un coup de fouet,

plongea au sol pour le saisir et aussitôt mettre en joue ses agresseurs.

Nouvelle tentative de l’homme au sol, qui avec des soubresauts de ressorts

distendus, tentait encore une fois vainement de se faire entendre !

Nadal tourna le commutateur.

- De grâce pas de lumière bon sang ! Éteignez-moi ça vite ! On ne doit pas

savoir que vous êtes là ! Je vous en prie ! Faites-le sans attendre ! Il en va

de nos vies à tous !

Nadal, sans lâcher sa cible, se laissa tomber mollement sur un fauteuil, à

bout de forces, non sans hurler :

- Vous ! Les deux savates ! Ça alors ! Putain, je vais vous faire la peau,

bande d’ordures !

- Éteignez… On va tout vous expliquer… Ouvrez les barillets de nos

brownings. Allez-y ! Ouvrez-les ! Alors ?

- Ils… Ils sont… Ils sont vides… Que signifie…

- Enlevez-moi cette lumière. Nous sommes en mission spéciale. On va tout

vous dire, mais avant on doit attendre le troisième convive !

- Le troisième convive ! Vous vous prenez pour les Trois Mousquetaires !

- Vous ne croyez pas si bien dire, mais ils étaient quatre !

- Oui, avec D’Artagnan…

- Vous êtes ce quatrième Mousquetaire. Pour cela, on doit attendre le

troisième. Mais coupez-moi cette lumière, bon sang !

- Ok… Ok. Je coupe. Voilà. Satisfaits ? Vous avez intérêt à trouver une

explication plausible à tout ça,je vous avertis tout de suite ! Parce qu’on ne flanque pas la trouille aux gens sans raison valable ! Et pas d’entourloupe, sinon je recommencerai à

me défouler sur l’un d’entre vous deux ! Ça faisait bien trop longtemps que

j’avais envie de molester vos tronches à claques !

- On se calme, monsieur Nadal… Attendons notre troisième homme, puis

j’espère que tout se fera jour en vous !

- Très certainement ! Surtout de nuit !

L’homme à terre se releva péniblement, il avait l’air plutôt salement

amoché. Dans l’obscurité, son visage sanglant semblait devenir une

excroissance jouxtant les vieilles tentures poussiéreuses.

- Un verre d’eau peut-être, Monsieur Nadal ?

Les autres devaient se croire officiellement invités !

- Dis-donc, je suis encore chez moi ici ! Je devrais être capable de me servir

tout seul !

- Service à domicile… Non ? Et puis je ne prendrai pas le risque de vous

laisser vaquer sans avoir l’oeil sur vous !

- Je m’en charge, et ne bougez pas ! Où voudriez-vous que j’aille ! Puis surtout, dans ces circonstances, je pense qu’on est jamais mieux servi que par soi-même !

Il y eut une rumeur dans la cage d’escalier. Quelqu’un montait les marches

en aveugle. Froissements devant le palier, sur le paillasson. Puis trois

coups. Frappés, successivement.

La porte s’ouvrit.

C’était Paoli, tout de noir vêtu et affreusement pâle. Ça se voyait même

dans la pénombre. Un vrai cadavre ambulant.

- Ah, c’était donc vous ! C’est quoi aujourd’hui, qu’on fête ? La

Résurrection de Lazare ?

Sans mot dire, Paoli sortit un pli de sa poche, portant le sceau présidentiel

de l’Elysée. Il pénétra dans le salon, et toujours silencieux, s’assit tout raide

et droit au milieu d’un fauteuil qui lui tendait des accoudoirs décharnés.

- Personnel et confidentiel, Nadal, de la main même du Président. C’est la

raison de notre présence à tous, ici, dans votre appartement.

- Vous direz à l’Elysée Paoli, que ses manières sont peu courtoises, voire

franchement crapuleuses !

- Il le fallait. Afin de vous démontrer ce qui est susceptible de vous arriver,

le jour où nous vous en ferons plus la démonstration.

- Bigre, les choses se corsent ! Qu’est-ce que je risque donc !

- Tout. Vous avez soulevé les arcanes de secrets que vous n’auriez pas dû

rencontrer et encore moins connaître, surtout en vous y distanciant comme

vous l’avez fait.

- Oui, eh bien, à ce que je vois, ça a franchement raté ! Je suis dans votre

merdier jusqu’au cou ! Preuve que le pouvoir est une véritable benne

d’ordures !

- Je vous le redis, Nadal, la prochaine fois que vous vous ferez braquer

ainsi, ça sera moins gentil.

- Encore des menaces !

- Pas de nous, nous, on ne vous veut aucun mal, mais juste vous protéger.

- Mais de qui donc bon Dieu !

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